Rencontres

Portrait de celle qui m’a fait approcher et aimer, tardivement, le clavecin…
décédée fin 2018. Sans elle il n’y aurait pas ces clavecins…

Aux portes de l’an 2000 je l’ai invitée, pour mon anniversaire, à jouer chez moi pour quelques amis. J’avais choisi le Dodo, l’Adolescente…à la fin de son récital elle se tourne vers moi François il y a aussi la mort dans une vie et termine son récital par un Tombeau de Froberger. Tout Blandine Verlet.


Nombreux sont ceux et celles (désormais j’userai, Mesdames, du masculin comme d’un neutre) depuis 2005 qui ont rendu visite à Louis Denis, dit Le Hanneton, qui l’ont apprécié, en plus de ceux qui l’ont joué en public et enregistré :

  • Aline d’Ambricourt, Diego Aries, Bob von Asperen, Pierre-Laurent Haessler, Huguette Grémy Chaulac, Huguette Dreyfuss, Paolo Corsi, Jörg-Andreas Bötticher, Gérard Beaudin, Daniela Numico, Marinette Extermann, Frederick Haas, Elisabeth Belgrano, Guy Wachsmuth, Pierre-Alain Beffa, Sebastien Roué, Christophe Rousset, Gustav Leonhardt, Pierre Hantaï, Jovanka Marville, Aline Zylberrajch, Olivier Beaumont, Giulia Nutti, Adrien Pièce, Anne Robert, Jean Rondeau, et j’en oublie…des élèves, des jeunes, des moins jeunes.

Nombreuses sont les approches de l’instrument, que l’on vienne en voisin ou de fort loin.

Celui qui se précipite sur les claviers.

Celui, grand seigneur, qui me demande d’abord de lui jouer quelque chose.

Celui qui demande à se laver les mains.

Celui qui pose pour commencer des questions techniques.

Celui qui commence par jouer mes autres instruments, le Kroll 1770 par exemple.

Celui qui se plonge longuement dans le champ fleuri de la table d’harmonie ou qui semble y écouter les oiseaux

Celui qui prend le hanneton pour un cafard.

Celui qui parle de lui et en oublie l’objet de sa visite.

Celui qui ose quelques critiques : deuxième clavier trop fort ; basses du premier pas assez fortes ; son trop luthé, etc.

Celui qui trouve que les défauts énoncés ci-dessus sont au contraire des qualités.

Celui qui aimerait redorer la décoration des éclisses.

Celui qui est autant fasciné par notre chat Lully que par Le Hanneton

Celui qui m’apporte des fleurs, un souvenir…

Celui qui fait plutôt un cadeau au chat

Celui, allergique, qui demande que j’éloigne le chat…

Celui qui demande à voir le chat

Celui qui salue le clavecin, lui parle

Celui que j’attends depuis deux ou trois ans…

Celui que je n’attendais pas.


MIMETISME

Mon premier clavecin, une copie du François Blanchet, fut construit par les ateliers von Nagel dans les années 1987, dans le temps de la restauration du Rückers-Taskin du Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel, où j’habite, confiée à ces mêmes ateliers.

Lorsqu’il s’est agi de faire poser le décor par la géniale et imprévisible Sheridan Germann, Reinhard von Nagel me fit parvenir quelques photos de décors fleuris, dont celui du Benoît Stehlin 1760 (le plus beau clavecin du monde selon Christophe Rousset) que possède la Smithsonian Institution de Washington DC.

C’est ce décor que j’ai choisi de faire poser. Mais je m’aperçois, en reprenant ce dossier, que Reinhard von Nagel m’avait envoyé encore deux autres photos : celles d’un clavecin Louis Denis 1658 !

Bien avant que ces deux clavecins au décor identique (ce qui étonna bien des visiteurs non avertis : pourquoi tu as deux clavecins « les mêmes ») se retrouvent dans mon salon j’avais oublié que leur destin était déjà lié.


LE CHAT ET LA MOUCHE

C’est le printemps, les premières douces chaleurs. Une grosse mouche au vol lourd et incertain se réveille, observée par notre chat Lully qui décide de jouer avec elle ou d’en faire un amuse-gueule. Le clavecin est ouvert, la mouche s’égare sous les cordes; le chat saute sur le bord de l’éclisse puis pose ses pattes sur la nappe des cordes… Le propriétaire retient hurlements et gestes brusques, retire délicatement le chat hors du clavecin, mais notre félidé musicien accroche de ses griffes deux cordes hors des pointes…d’accroche. Je les replace; aucune corde n’est cassée.

Quelques semaines plus tard, Christophe Rousset enregistre sur l’instrument des suites de Louis Couperin. Dans ce but le clavecin avait été déménagé au Musée D’art et d’Histoire de Neuchâtel, à côté du Rückers de cette institution.

Deux cordes cassent durant l’enregistrement, celles accrochées par le chat! Et comme le responsable du déménagement avait omis de dire où il avait rangé cordes de rechange, plumes et sautereaux, Christophe Rousset retire les cordes correspondantes du Rückers pour les placer sur le Louis Denis, où elles se trouvent toujours.


LE POIDS DES ECLISSES

Lors de la fête pour les 500 ans du village, il était convenu que je prête un clavecin (Chr. Nobs copie d’un instrument austro-italien anonyme de 1690) pour un concert Purcell à l’église, à 400 mètres de mon domicile.
Rendez-vous était pris un samedi à huit heures avec des employés de la Commune pour ce déménagement.
La veille un élu du village, responsable des dits emplovés, avise chez mon voisin un piano trônant au milieu du salon et conclut qu’un clavecin doit peser plus qu’un piano. Il en reste à son point de vue malgré les injonctions de mon voisin à franchir le pallier qui le sépare de l’instrument et de son propriéitaire pour se renseigner.
Le lendemain, à huit heures tapantes, on sonne à ma porte. Du brouillard et d’un léger crachin surgissent trois costauds en bottes réfléchissantes, tenue orange, capuche…Et derrière eux un petit véhicule utilitaire avec sa benne exposée à tous les vents dans laquelle ils escomptaient transporter le clavecin. Heureusement, pour leur honneur, avant que j’intervienne, l’un des hommes orange constate « je crois que nous avons  été mal renseignés ».
Quelques heures plus tard l’Air de Froid fut particuliérement réussi.