C’est en 1658 – année de naissance de H. Purcell ; J.J Froberger est à Paris et publie son livre de clavecin, L. Couperin compose sa chaconne en sol – que Louis Denis (1635-1711) authentifie cet instrument par sa signature à la sanguine, sous la table d’harmonie : fait par Louis Denis à Paris 1658 et les trois étoiles à cinq branches disposées en triangle, signature propre à plusieurs facteurs de la famille Denis. Louis Denis est un des nombreux facteurs de la dynastie des Denis qui court sur cinq générations de la fin du 16ème jusqu’au début du 18ème siècle. Ce Louis-ci est un Denis de la troisième génération. Pourtant la table d’harmonie présente une rosace en bois sculpté et doré comportant les initiales BS. (voir la galerie photos) Nous pouvons raisonnablement conjecturer qu’il s’agit là des initiales du facteur Benoît Stehlin car un inventaire du 15 juillet 1774, fait état, après sa mort, d’un clavecin Denis qui se trouvait alors dans les murs de son atelier : « Item un clavecin en très mauvais ordre sans sautereaux ny cordages fait a Paris par Louis Denis ». Peut-être que l’instrument de Denis se trouvait dans ces ateliers pour réparation et que la rosace BS fut posée à ce moment pour remplacer l’originale endommagée.
Peut-être, aussi, qu’à cette période fut posé le décor floral des éclisses en tout point comparable à celui du célèbre Benoît Stehlin de 1760 conservé à la Smithsonian Institution, Washington DC.
La peinture du couvercle (voir galerie photos) et de l’abattant représenterait un épisode de la Jérusalem libérée (Le Tasse, chant XIV, 1581), les soldats Charles et Ubalde partis à la recherche de Renaud, retenu par Armide ; ils rencontrent un vieux mage qui les met en garde contre les tentations de l’amour. Le paysage est inspiré de la vallée du Tibre. Une autre hypothèse, séduisante, est qu’il pourrait s’agir d’Enée et d’Achate, son fidèle compagnon, en présence de la vieille Sibylle de Cumes : la pierre serait ainsi la porte des Enfers qu’Enée s’apprête à franchir. (Enéide VI, 1-263). Mais alors la statue visible dans le temple devrait être Apollon dont la sibylle est la prêtresse et non la figure de Venus. Cependant un examen attentif de la peinture de l’abattant donne l’impression que cette statue a été repeinte ultérieurement : elle recouvre peut-être un Apollon…
L’instrument nous est parvenu en bon état, avec une table d’harmonie exceptionnellement conservée. Celle-ci, peinte d’un joli décor floral d’origine, présente un élément pictural unique, semble-t-il, pour une table d’harmonie : un hanneton. La présence de cet insecte xylophage, erratique, bruyant sur une table d’harmonie est étonnante. Sa présence serait donc propitiatoire: on fait fuir le mal par le mal ! Relevons que ce motif se rencontre toutefois dans la première moitié du 17ème siècle dans diverses peintures avec une connotation de « vanités », évoquant la fugacité des choses terrestres qui se dissipent et disparaissent comme la musique.
Cet instrument Louis Denis 1658, outre sa beauté sonore, est d’un exceptionnel intérêt organologique car il se présente, sans doute, comme l’un des plus anciens clavecins français, voire le plus ancien, qui nous soit parvenu avec tous les éléments « sonores » de la caisse dans leur état d’origine : éclisses, table d’harmonie, sillets, chevalets, sommier et fond.
L’instrument se trouve maintenant au domicile de son propriétaire, en Suisse, et peut être visité et joué sur rendez-vous (mireille.badoud@bluewin.ch).
François Badoud
Sources : R. von Nagel ; J.-P Brosse ; A. de Andrès ; Y. Cambefort